Etat des Yeux | Archive
- Marie-Thérèse Peyrin
- 18 oct.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 oct.
Pour Charles JULIET
à celles et ceux qui lui ressemblent…
Etat des Yeux [Extrait] inédit
Manière de Prologue
On a trié les amis
mais pas comme les cartes
ni battus ni abattus
ne pas jouer au plus malin
ne pas tricher pour un enjeu fictif
On a cité la famille et sa donne constante
ses nombreuses combinaisons d’affects
ses possibilités d’épreuves
On a rendu aux plus offrants
On a pris un peu de ce que l’on
nous donnait mais le temps a glissé
sur nous et sur nos manquements
On a choisi certains regards
habilité certains égards moindre des
politesses à l’aune de la multitude
La matière vivante n’est pas pérenne
Elle ne tient pas solidement sous le feu
Dans le vif du sujet on a composé
déposé le trop-su sous des tisons d’oubli
un sac de larmes intact érigé au-dessus tout
prêt à exploser à la moindre escarbille de foudre
Certains se blindent contre le chagrin
refusent de contempler les déflagrations eux
prétendent qu’une douleur cicatrise toujours
à cause de la notion de deuil pathologique ou
de la mention dépression résistante…
inscrite dans leur dossier médical
soumission au docte diagnostic à la mode
Résistante à quoi ?
On aime toujours ce qu’on a vraiment aimé
On souffre longtemps de ce qui a fait effraction dans le corps
Oui, mais… Résistance à quoi ?
On dira – Résistance à l’indifférence … Embarquez c’est pesé ! …
Roulez petits morbides et sans tarder retournez au charbon …
Apprendre à répartir la charge à hue et à dia … ou au Hasard
Savoir caler le joug entre plusieurs épaules
et le mors bien serré entre nos deux mâchoires
ne laissez pas gripper la meule industrielle
ni la faire tourner à vide en grevant le profit
torréfiez puissamment le noir visqueux vivant
le nectar ressourçable en parfums capitaux
traquez la semoule recyclable dans ses moindres détails
usine à plus-value et décote arbitraire seront vos maîtres-mots
loi royale et déloyale du marché aux choses et aux humains
ne pas affamer l’énorme bête ultralibérale
lui donner son comptant de vies usées et sacrifiées
sa hiérarchie de moutons de loups et de fonctions.
On a pris saviez-vous l’injonction en plein cœur
à plein temps dès l’enfance et plus en pleine poire
car chaque naissance rajoute son rang et elle le positionne
on a pris chacun son tour de guet ou de vigie
sur les gradins numérotés de savants promoteurs
avec un peu de chance ou de privilège [ pour qui ? ]
on aura sauvé la mise et la chemise
on aura eu le mouvement et le badge attitrés
on aura capitulé puis blanchi nos cheveux et nos armes
on aura déserté le sens premier trafiqué le devoir
on aura défalqué progressivement le voeu d’obéissance
on aura quitté pas après pas la direction formelle
on a fait acte d’immobilité et maintenant on pense
on rue sur le brancard on tombe de très bas
on ramasse nos ombres et on récapitule :
Tout ceci ce binz mécanique et mortel
Tout cela pour si peu de joie
pour gagner au final l’ enclume d’amertume
alors que la vie la vie vraie on le sait
a ses lunes et ses lunettes secrètes ses imputrescibles lubies
ses petites propensions tatillonnes au sublime
La vie a ses recours en grâce
ses rémissions et ses miracles ses remises de peine et ses joyeux sursis
La vie se bat contre l’idiotie bancale de sa condition
La vie vaillante surgit se solidarise et s’embarque
La vie intime flotte au contact d’une sève omnivore
La vie est contagieuse animale et sensuelle
La vie pulse dans nos veines comme un tempo de griot
Oui, la vie n’est pas vaine La vie vaine existe-t-elle ?
Ce sera toujours une question de regard
même en retard fidèle proportion de folie de courage
Nous laisserons notre tour aux suivants
Doit-on les avertir de nos passages ultimes ?
Génération après génération
on inventera toujours des mots
dans toute langue amortie
pour dire les mêmes choses
pour les dire autrement
Seul le degré de révolte et l’état de conscience fluctueront
Il s’agira de redimensionner l’acuité des liens et des élans
Leurs codes et leurs brouillages
Leur portée nous échappe déjà comme à perpétuité
bien au-delà du cercle de nos contemporains
ou des rondes lointaines de toutes les galaxies.
Aimer vivre ici-même semble une tâche de Titan.
Aimer est le contraire de vivoter en eau dormante …
Refuser d’incarner Ophélie dans un Monde qui se noie.
Marie-Thérèse PEYRIN | Séquellaires [ Recueil en cours – Inédit ] Juin 2016




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